Récit du client pathétique
Il fait chaud,
La nuit est déserte.
Je rentre dans le bar américain,
Où accrochés au bar,
Tremblent des astres froids,
Caricatures dévouées,
Aux râles du mâle.
Il doit payer !
Des toréadors antipathiques,
Plus terrifiés et malheureux,
Que dangereux ; boivent.
Refrain obsessionnel :
Je suis cet être ridicule,
Qui avance et qui recule,
Qui gesticule sans visage.

La lumière tamisée,
Et sa main terminée,
En bagues rondes,
D'ors et de chaînettes,
Ses genoux, sa faconde,
Un port altier, honnête,
Et des airs inspirés.
C'est une dame brune,
A la face de lune,
Qui sait parler.
Refrain obsessionnel :
C'est moi l'hominoncule,
Qui déambule et qui recule,
A l'entrée du vestibule.

Pour que “je“ soit-heureux
Me demande cette créature :
- Qu'est-ce qu'il te faut mon Coco ?
- Je voudrais être libre.
- T'as vraiment du toupet, toi !
- Et toi des tentacules ?
Ma fierté majuscule,
Mon paletot, mes pellicules,
Sur mon tee shirt : “il a vécu“.
Libre mon cule.
Refrain obsessionnel :
Je suis cet être canicule,
Qui fabule sans préambule,
Qui calcule et spécule.

Comment veux-tu que je t'éclaire ?
Astre froid, mortelle animale
Tu n'aimeras pas ma lumière
Toi, trop froide
Moi, trop maladroit
Dans un lit trop étroit
Sale, un peu, et triste
Ils sont du genre papier maïs
Tes tigres du pays des supplices
Refrain obsessionnel :
Je suis cet être famélique
Qui avance et qui circule,
Cherchant une poule saoule.

Contrechant du picador héroïque
Bourré sur tabouret,
Horsemen je suis,
Et resterai.
Chevauchant impassible
Les ménades cannibales,
L'œil perdu aux lointains,
Et le front embué
D'une noble suée,
Je regarde, et…
Nom de Dieu…
Mais il va l'embarquer !
Je n'ai jamais osé implorer,
Cette amazone tant convoitée.
Elle m'a toujours refusé.
Ce n'est pas le moment de flancher.
Il faut adapter mon calcul,
La situation m'y accule.
Je tord mon cou
Pour essayer d'entendre,
Jusqu'à ce que se désarticulent
Mes cervicales, ma clavicule.
Fini le temps du recul.
A l'assaut : s'ils sortent,
Je les escorte.

Suite du récit du client pathétique
Je ferme les yeux.
Maman me semonçait
D'avoir fait trop vite commerce
Avec une fille raisonnable.
Gentille, propre et douillette.
Une paisible infirmière
Aux bras ronds et blancs.
"Ramène-moi des aventurières“,
Disait-elle ; “ça fait bander ton père“.
Refrain obsessionnel : Je suis un piètre noctambule,
Somnambule désabusé,
Pas motivé, névrosé.

Quand on me voit, on croit rêver.
Comment un si bel homme
Peut-il exister
En dehors du cinéma ?
Fille de bar,
Ce que tu crois,
C'est que tu vas m'avoir ;
Et tu ne m'auras pas.
Tes chaussures ne me plaisent pas.
Même tes bas ne te vont pas.
Refrain obsessionnel :
Je suis un animacule,
Menacé par les pipicules,
Vivant comme une sous-molécule.

Ça y est, je suis bourré.
Whisky bromate / Picon gruyère ;
Ça ne pardonne pas
Il y a au bout du bar, là bas, quoi ?
C'est une guépière ; ou un jupon ?
En tous cas la fille est vulgaire.
Pas une intellectuelle
Comme celle-ci.
Elle papote avec les hidalgos.
Il me faudrait les deux…
Pour bien faire.
Refrain obsessionnel :
Je suis schlass
Je me gratte les fascicules
Et macule mon matricule

Contrechant de la fille romantique :
Petite j'étais très bonne en math,
Également affamée de rêveurs.
Mes seins étaient trop gros :
J'avais honte.
Mais maman me disait :
“Avec tes seins
Tu n'auras jamais faim“.
Je les ai mis dans des dentelles,
J'ai appris petit à petit
Les réseaux réticulés noirs,
Pièges de jambes,
Filets pour avocassons.
J'ai alourdi mes paupières,
Acheté le parfum “Point-virgule“
Pris des faux airs de Bovary.
Ce soir, j'ai un petit espoir
De voir arrivé le grand soir :
Enlevée par un diamantaire.
Bon, celui-ci, c'est un Rodolfe
Qui doit même jouer au golf
Gros pécule, grosses testicules
Peut-être même particule,
Et luxueux véhicule
Comme ça,
Il semble désintéressé.
Mais il voudra coucher,
C'est obligé.

Suite du récit du client pathétique
Je ferme les yeux.
Je me rappelle…
Ce matin vers les six heures,
Le cœur au bord des lèvres,
Et les cris des enfants.
Le vol électrique des moustiques.
Puis le silence,
Est tombée sur ma nausée.
Certainement dehors, il y a le soleil.
Il y a le ragondin familier qui mange dans la main
Le balaise qui pousse une poussette
Avec un tatouage bariolé.
Le vieux aux cheveux longs et sales,
Le soleil, les cyprès.
Madame Sutter sur le palier.
Refrain obsessionnel :
On m'appelle bidule,
Ou Roméo, ou la globule
Aller, bois ton verre frérot.

Elle est comme une vielle tantouse
Aux doigts couverts de bagouses
Elle fume.
Vers le ciel ses yeux sont tournés.
Elle parle des mers subtropicales
Où elle ira manger des poulpes,
Des vampires et des araignées.
Je suis vaguement concentré,
Ni partant, ni souriant.
Tralala, voilà qu'elle chante,
Quelque chose de suranné
Par dessus l'ambiant,
Pour me montrer.

Conclusion du barman stylé
Ça sent l'aigre et le rance
Dans mon bar américain.
Les frigos sont chargés.
Mon falzar d'alpaga
Me démange-t-à l'aine
Comme un vulgaire benouze.
Un soir peu fastueux.
Petit chiffre et grande lassitude.
J'en profite pour ranger,
Pour astiquer les chromes,
Pour frotter le zinc en vrai zinc.
Pour offrir des verres,
Aux créatures mes sœurs,
Mes collègues de l'autre bord.
Patricio est à Acapulco
Avec Arnaud.
Un seul client.
Je ne compte pas Ramon et Javier
Qui font partie des meubles,
Et qui jamais, ne sont montés.
Peut-être même qu'ils sont pédés.
Un nouveau client,
Un bourgeois égaré,
Qui ne reviendra pas.
Un type sans joie ; qui boit.
Ça ne paye pas l'électricité.
Comble,
Il s'est branché avec Clarence.
Elle, c'est une compliquée.
Elle ne sait jamais avant
Si oui ou non,
Elle va y aller.
Vivement qu'elle boucle,
Je suis crevé.