Autant te le dire tout de suite, j'ai fais une bêtise. : j'ai tué quelqu'un.

En plus c'est un type de la mafia, un voisin. Une histoire idiote de place de parking. Je ne l'ai pas fais exprès : je visais le toit de sa voiture depuis la fenêtre de la salle de bain. Mais elle n'est pas juste à l'aplomb de la place de parking en bas. Surtout, je n'ai pas vu qu'il sortait de son véhicule juste à ce moment là et comme j'ai mal calculé mon coup, la grosse jardinière en grès flammé que tu m'avais donnée à mort de Mamie est tombée sur lui. Je ne savais pas qu'il y avait une caméra de surveillance sur le parking. J'ignorais également que, en niant, j'aggravais mon cas vis à vis du jury, etc.

Bref un enchaînement malheureux de concours de circonstances.

Je ne veux pas te raconter ça en détail parce que ça te mettrais en colère et tu aurais raison. Je me suis encore débrouillé comme une nouille. Je sais que c'est ce que tu vas me dire, et je suis d'accord. D'ailleurs tu as toujours raison. Tu me l'avais dit :"un jour tu vas tuer quelqu'un avec tes conneries". C'est fait. Je ne compte pas le chien de Gisèle que j'ai écrasé en reculant un jour. Même si je l'aimais beaucoup, je pense qu'on ne peut pas dire que ce soit "quelqu'un" véritablement.

Donc, ce coup-ci, ils m'ont mis en prison pour dix ans. Comme tu habites maintenant à l'étranger, je ne suis pas sûr que tu ais entendu parler de cette histoire. Pourtant, j'ai eu plusieurs fois ma photo dans des journaux.

En soi, je trouve ça normal d'être en prison, et finalement je ne me plains pas trop.

Il y a bien quelques bizarreries. La principale c'est que j'ai un commis d'office. Il est le seul qui peut venir me voir quand je le demande. Un jeune type qui s'habille comme un homme d'âge mûr. Il a un loden vert et une joli sacoche en cuir patinée. Il est très sympathique malgré un léger bégaiement. Quand il m'explique des trucs, je ne comprends jamais rien. Il n'a aucune culture, il parle dans un jargon très particulier, nous n'avons aucun sujet de discussion en commun. Il n'a aucun humour et il s'adresse à moi sur un ton raisonnable comme un instituteur qui parle à un enfant de cinq ans. Il veut toujours imposer son point de vue et j'ai compris depuis un bon moment que le mieux était de le laisser dire et de faire comme si. Ce doit-être une sorte de garde du corps personnel. Il parle toujours de ma défense. Mais je trouve que je ne risque rien depuis que je suis ici. D'ailleurs ça s'appelle le quartier de haute sécurité. Enfin ça s'appelait comme ça avant. Depuis quelques années ça n'a plus de nom. Ils m'ont mis là pour me protéger. Ils me l'ont dit d'ailleurs. En tous cas c'est calme. Il y a une milice en uniforme, un labyrinthe super bien fortifié, tout le confort. C'est mieux que chez moi.

Je fais un cursus à part des autres gens qui sont ici car il ne faut pas me mélanger avec eux. Il y en a de très jaloux avec lesquels je risque de ne pas m'entendre. Et puis ce ne sont pas des intellectuels dans l'ensemble à ce que j'ai compris.

Alors j'ai réfléchi et je me suis dis que c'était le moment ou jamais de devenir écrivain. Tu sais que j'en ai toujours rêvé. Je ne suis jamais arrivé à écrire suffisamment pour que ça fasse un livre parce que je suis trop curieux et dispersé. Bon je t'ai déjà parlé de tout ça dans d'autres lettres. Mais là franchement, en prison comme je suis, je n'ai plus d'excuse.
J'ai une idée en plus. Je veux écrire une fresque historique sur un oncle imaginaire (en fait c'est à toi que je pense) qui serait très riche depuis qu'il est allé à l'étranger pour commercialiser depuis le Costa Rica une pierre synthétique magique qui rend les ménagères belles et intelligentes et qui, en plus, est un très bel objet de décoration.

Il vend ça sur internet et reçoit chaque matin des milliers de chèques en dollars et des centaines de virement par carte bleue sur son site de paiement sécurisé. Tu vois ce que je veux dire ? Mais rassure toi, je compte mettre au début du livre "toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite. ". Comme ça, ça ne risque rien.

Mais pour être franc, j'ai des difficultés inattendues. Pour commencer, ils ont refusé de me donner un ordinateur connecté à internet. Tout ce que j'ai pu obtenir, c'est des cahiers Clairefontaine quadrillés 5x5 format écolier et des pointes bic ordinaires. En plus il a fallu que je les paye alors que je ne touche aucun argent de poche ; ni du chomage. Pourtant j'y avais encore droit pendant trois mois. Tu te rends compte ! Bon, je peux faire avec. Mais je trouve bête de devoir tout faire saisir par quelqu'un alors que je suis très capable de le faire en live. (Ici s'arrête le manuscrit, l'auteur étant décédé. Il a sauté par la fenêtre du commissariat lors d'un interrogatoire).

Tu m'aides ?