Le Capitaine Wang avait réussi ses études et considérait qu’il s’était donné assez de mal pour prétendre à un rôle paisible dans les rangs de la révolution.
En conséquence de quoi il ne pensait plus qu’à manger. Il pesait plus de cent vingt kilos.
Comme l’avait dit Mao Tsé Toung : “C’est la sueur du peuple qui fait avancer le grand navire du progrès”.
Une citation qui n’étais pas tombée dans l’oreille d’un sourd.
Capitaine d’un cargo chinois n’est pas un emploi qui vous fait voir du pays. Les trois gardes rouges du bord avaient essentiellement pour mission d’empêcher les membres de l’équipage de descendre à terre aux escale ; capitaine ou pas.
Il avait donc placidement contemplé des grues rouillées et des entrepôt crasseux dans tous les grands ports du monde par crainte raisonnée, non de l’autocritique, mais du camps de travail.
Un jour que “L’étoile Rouge” dégazait à Anvers, Wang rêvassait en avalant sans appétit son bol de nouilles apéritif tout en contemplant le portrait souriant du “ Phare de la Nation ” réglementairement accroché au-dessus de sa couchette.
La cantinière Ma entra dans sa cabine, portant dans chaque main deux assiettes de riz cantonais.
Elle s’adressa à son Capitaine dans ces termes grandiloquents qui étaient alors de mise entre camarades du partit :
“Camarade Wang, je t’ai fait encore du riz aujourd’hui, car le blé de notre cargaison est destiné à nos frères qui luttent en Asie, en Afrique et en Amérique pour gagner le combat contre l’Impérialisme. Aussi, ne puis-je t’en donner la moindre miette.“
Puis elle sortit en criant bien fort pour être entendue : “Vive le Président Mao, vive la Nation triomphante”.
Le silence entrecoupé de grincements métalliques et de clapotis graisseux retomba.
Wang ne regrettait qu’une chose : c’était de devoir manger du riz et des nouilles chaque jour. Il aurait tant voulu goûter aux pizzas et aux rôtis, aux couscous et aux hamburgers, au Nutella et au Ketchup. Il murmura une maxime du grand timonier pour se rassurer : “On a raison de se révolter contre les réactionnaires, et notre blé aidera ceux qui vont remporter la victoire“.
Il se dirigea pesamment vers le pont pour prendre un peu d’air et se donner de l’appétit.
La nuit était tombé sur le grand port labyrinthique d’Anvers. Il pleuvait. Les titans de ferrailles, venus des quatre coins de la planète, bord à bord, grinçaient de toutes leurs chaînes. Sur le navire voisin on braillait en anglais des chansons décadentes, ne possédant pas les qualités triomphales de : “ Glorifions le soleil rouge de nos cœur ” le chant conquérant de l’opéra “ Élevons inlassablement notre niveau de conscience politique ”.
Une passerelle rongée par le sel avaient été jetées entre les deux navires.
Il traversa, angoissé à l’idée qu’elles ne soit pas suffisamment solide.
Un cuisto chinois sortit comme un diable du noir s’adressa à lui en cantonais, sa langue natale : “ Viens boire et manger Capitaine, toute ta garde rouge est là ”.
Il bu. Il mangea. Il tomba. Il fut victime d’une formidable indigestion et d’un de ces comas éthylique que les annales de la marine gardent secrets.
Au matin blême, lorsqu’il se réveilla, malade, l’Étoile Rouge avait disparue.
Et c’est ainsi que Wang, devint le courageux capitaine ayant choisit de fuir l’enfer rouge pour rejoindre de son plein gré le monde libre.