Son esprit battait la campagne pendant que sa voiture glissait sur l'autoroute en direction de Quimper. Il avait environ mille kilomètres à faire. Il n'était pas pressé. Il pouvait même faire une étape s'il le désirait. Il n'avait rendez-vous qu'en fin d'après midi le lendemain. Elle avait écrit : “Je serais sans faute vendredi soir au bar à vin du "Poète Assoiffé". Cherchez l'adresse sur internet. C'est le rendez-vous des écrivants à Quimper. A partir de cinq ou six heures, j'y serais sans faute. Vous me reconnaîtrez puisque vous avez vu mon portfolio sur internet. Je vais lire mon texte. Vous pourrez lire le vôtre si vous le désirez. Ça se passe comme ça ici. Nous parlerons après.“ Il devait être devenu fou, songeait-il, pour se précipiter ainsi sur les routes à l'appel plus que vague d'une inconnue d'une vingtaine d'année. Lui qui en avait plus de soixante ! Peut être avait-il tout bêtement besoin d'une évasion. Au fond de lui il était tout de même content d'avoir pris cette décision. Mais il était aussi assailli par le doute et son esprit faisait un étrange va et vient entre deux pôles : “j'ai bien fait“ et “je suis un vrai con“. Mais même “…être un vrai con“ lui faisait plaisir. Il n'avait pas envie de faire demi tour. La campagne s'éclairait peu à peu. La lumière devenait à chaque minute un peu plus fraîche et transparente. Un peu comme s'il roulait dans un décors de film et non dans la réalité. Il se sentait le héros d'une histoire, tellement vivant que ses perceptions avaient un parfum de fiction. Il sentait des monstres extra terrestres blottis invisibles dans les buissons. Le monde autour de son véhicule se déroulait comme un générique. Il n'y manquait que des lettres défilant dans le ciel bleu parsemé de flocons blancs. Pourquoi lui avait-elle écrit se demandait-il ? Pourquoi lui demandait-elle de la rencontrer ? Les apparences auraient dû le persuader qu'il s'agissait d'une méprise. Elle l'avait confondu avec l'éditeur par exemple. Ou bien elle pensait qu'il ne viendrait pas. Ou encore, elle n'avait pas cru à son âge, ni a son métier véritable. Ça le turlupinait : pourquoi cette jeune fille voulait-elle le voir ? Pourquoi lui ? Pourquoi était il en train de répondre à cet appel ? C'était comme un chant de sirène. Il ne parvenait pas à y échapper. Et le ruban d'asphalte s'enfonçait comme un serpent bleu dans le paysage.