Personne n’était capable d’avancer la moindre explication. Il n’y avait eu aucune alerte, ni à la radio ni à la télévision. C’était la nuit dans les maisons. Lorsqu’elle était apparue, la nappe de fumée ressemblait à un nuage d’orage. Mais elle avait rampé de façon inhabituelle, comme poussée par un courant d’air brutal qui l’aurait entraînée de la vallée vers le col. Le premier réflexe de tout le monde avait été de filmer avec les téléphones. Une petite centaine de personnes s’était rassemblée sur la place, et les conversations allaient bon train. Ce n’était décidément pas un nuage mais une fumée dense qui ne piquait pas les yeux et c’était plus bizarre qu’effrayant. On n’y voyait plus rien à plus de trois ou quatre mètres. Des groupes de jeunes en mobylettes, motos et bicyclettes, étaient aussitôt partis en reconnaissance. Certains en direction de la vallée, et d’autre sur la route montant au pylône du relais téléphonique. Ils avaient promis de revenir vite pour donner les nouvelles. Les gens qui étaient restés plantés sur la place étaient partagés. Certains voulaient rentrer se calfeutrer. D’autres semblaient envisager de fuir en voiture. D’autres encore, la majorité, pensaient que le mieux était d’attendre que l’électricité soit rétablie. Enfin, un jeune à moto est réapparu comme par magie depuis la route du haut, mais seul. Il avait expliqué que l’obscurité était partout, même au sommet, et qu’il s’avérait très difficile de se repérer. D’ailleurs les autres s’étaient perdus. Une touriste avait commencé à paniquer et avait évoqué la possibilité d’un accident nucléaire ou d’une éruption volcanique. Le patron de l’auberge avait voulu la rassurer : “Madame, il n’y a ni volcan ni centrale nucléaire dans les environs. Il n’y a pas d’odeur, ce n’est donc pas un feu. Peut-être un accident bizarre dans une zone industrielle en bas. Mais il n’y a rien ni personne à moins de vingt kilomètres. Nous sommes une vallée en cul de sac et la fumée ne sent rien…mieux vaut rester tranquille. Ils vont bien finir par nous remettre le jus !“ Mais les touristes s’étaient décidés malgré tout à partir ensemble avec leurs voitures sans savoir où ils allaient, négligeant le danger de conduire presque sans visibilité sur la route escarpée.


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Ceux qui étaient restés regardèrent les feux arrières des autos disparaître presque immédiatement dans l’obscurité, comme aspirés par du vide. Le lendemain matin, la fumée était toujours là et l’électricité et le téléphone toujours pas rétablis. Beaucoup d’autres s’étaient résolus à partir à leur tour. Et puis comme au bout de trois jours rien n’avait changé, tout le monde avait abandonné le village. Sauf ma femme et moi qui devions garder la station météo.


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Ça fait maintenant plus d’un mois qu’on n’a vu personne, pas même un animal. Nous n’avons aucune nouvelle du monde extérieur et nous vivons dans un univers crépusculaire permanent. Il y a beaucoup de provisions ici, et des bouteilles de gaz. A deux, on peux tenir encore longtemps. On s’emmerde sec. J’irai bien voir ce qui se passe en bas. Mais on ne veut pas se séparer.

Et puis on a peur : ceux qui sont partis, que sont-ils devenus ?