Je me suis barré du Pakistan à pied, tout seul, à l’âge de douze ans. Depuis j’ai toujours été tout seul. Croyez moi, la démerde ça me connaît. Je sais seulement un truc important : c’est l’occasion qui fait le larron. Et le larron c’est moi. J’ai un peu fait tous les métiers pourvu qu’ils ne soient pas déclarés : dans mon secteur d’activité, y’a pas de chomage. Ce soir là, un type sympa m’avait copieusement arrosé. Il m’avait initié au rite de la tequila paf. Paf, paf, paf. Citron vert et banlieue bleue. Bar des Halles, Rungis, décor naze, néons… repaire des découpeurs de carcasses, fromagers, porteurs de cageots, et, au petit matin, des groupes de bourgeoises barrées et bourrées qui veulent se frotter aux travailleurs manuels. Une expérience ma Chérie ! Il y a aussi des pères de famille pédés honteux qui débarquent d’on ne sait où à la recherche d’ils ne savent pas quoi. Vilain bistrot, moche, vert, crade. Un bistrot authentique ; on dit. Ouvert toute la nuit. Moi aussi je suis authentique. C’est un bon plan pour trouver de la clientèle vers six heures du mat. Faut savoir comment marche l’humanité, c’est tout. Après qu’il m’ait mis H.S. (t’es qui là ? paf, paf, paf, …) il m’a couché à l’arrière de son Citroën SpaceTourer Business lounge. Il a dû me faire des trucs ; ou bien pas. Ça fait partie du job. La tequila je connaissais pas : je me suis fait avoir. J’ai vomi dans la caniveau. On a dû rouler pas mal. Cinq-six heures. Pendant le trajet, il m’a seulement dit qu’il avait un job bien payé pour moi. J’ai dormi tout le long. Il m’a emmené dans une vieille baraque de riche décrépite et décrépie quelque part à Pétaouchnoc. Jusque là rien de bien exceptionnel. Il m’a mis dans une piaule et je me suis réveillé tout seul. J’étais en slip dans les draps avec une sale gueule de bois. J’ai passé un jean 501 propre avec un T-shirt blanc et des tongs. C’était au pied du lit avec un plateau de petit déjeuner. Mes vrais vêtements avaient disparu. Je me suis aventuré un peu en dehors de la chambre. J’ai mangé un peu. J’ai pris une douche. C’était treize heures à la box. J’ai commencé à me faire chier sec. Il faisait chaud. Pour s'occuper y y'avait pas de télé, pas de Wii. Des livres partout sur les murs et un piano à queue dans le salon. Je me suis mis à pianoter, même si je ne sais pas jouer. Je ne sais pas lire non plus de toutes façons. C’était marrant. Un putain de grand piano comme j’en avais jamais vu. Noir. Brillant. Beau comme une bagnole américaine. Et bruyant. J’avais encore un peu mal à la tête. Finalement, Monsieur téquila est revenu vers seize heures. Il avait l’air de bonne humeur. Il m’a dit : “Je t’ai amené ici pour le boulot. Tu vas te déguiser en fille. Tu vas aller a un carnaval vénitien privé. C’est pas à côté. Mais ils vont venir te chercher en voiture. Je vais te filer un costume comme sur cette photo (il m’a montré une putain de photo à la con avec des marquises ou des comtesses d’opérette). Mon client, son fantasme, c’est les déguises, le faux. Je lui envoie des pros parce qu’il sait pas faire ; tu t’en fout certainement. On est en affaires lui et moi. On est dans les alcools. Tu seras très bien payé : dans les 5 000 euros minimum. Mais ça risque d’être un peu raide évidemment car il faut laisser croire que t’es une victime et tout ça. Mais je sens bien que tu sais faire ce genre là. Pis quand ça sera fini, ils te feront déposer ici et je te rentre à Paris demain en début d’aprem. Ça te va ? Et après motus. Compris ?“ Évidemment j’ai dit oui : 5 000 boules ! Tu rigoles. J’ai bossé plusieurs fois chez Rita Mansfield Panama, la reine dominatrice du sado maso à Neuilly. J’en ai déjà vu des vertes et des pas mures dans ma petite vie de pédé tarifé. Le secret, ça fait partie des affaires. Je ne m’étonne plus de rien. Je me suis bien dit que pour ce prix là ils pouvaient me faire souffrir. Mais souffrir, c’est pas la mort. Ça risquait peut-être même d’être rigolo. Au fond les tordus, je les aime bien. Ils ont beau être cons, c’est ma clientèle. Je me suis harnaché par dessus mon jean et mon t-shirt avec les nippes qu’il m’a apporté. Il m’a aidé. Il m’a filé quelques biftons d’avance, « histoire de te mettre en confiance“ qu’il a dit. Il y avait de toutes façon assez déjà pour une soirée. Mille euros. Je vaux pas si cher que ça en fait. Donc ça s’annonçait bien. J’avais un peu chaud ; mais bon ! En général ce genre de trucs, ça se fini à poil. Ils sont passés me chercher avec une sacrée bagnole de collection. Une Studebaker Origine des années 50 refaite à neuf. Avec comme seule anomalie un GPS Garmin. Je sais tout sur les bagnoles. Une fois j’ai bossé dans un garage spécialisé dans la restauration haut de gamme, pas déclaré ; mais j’étais plutôt doué. Au Pakistan, avec mon oncle, on a démonté et remonté des dizaines de camions multicolores. On a roulé un moment et on est entrés dans le parc d’une sorte de château à la con comme on voit dans les films pornos bidons. Ils étaient quatre : deux vieux et deux vieilles. Ils essayaient de se la jouer classe, mais ils puaient le parvenu à plein nez. Ils me parlaient comme si j’étais un bébé. Eux aussi ils étaient habillés avec des déguisements et ils avaient des sortes de masques en velours moutarde avec des broderies style René Coty. On avait tous vraiment l’air con. Ils m’avaient fait monter derrière à côté d’une vieille qui sentait le placard moisi et le Chanel numéro “je me souviens jamais“. Ils avaient des allures comme du temps des films de De Funes. En fait de fête, dans le salon, il n’y avait personne d’autre qu’un jeune con déguisé en racaille de banlieue avec un survêt Nike blanc, la casquette à l’envers, et surtout une tronche d’imbécile. Il lui ont demandé de m’attacher les mains dans le dos. Le mec a été rapide et adroit et il m’a entravé les bras en deux secondes. Seulement, ce qu’il ne savait pas, c’est que dans une de mes vies d’avant, j’avais bossé au cirque Panzanni avec le grand Balsamo. Je sais me débarrasser d’une vulgaire corde en deux secondes maxi. Alors j’ai pas mis trop d’énergie pour me défendre. J’ai seulement durcit mes muscles. Il a fait les pieds aussi, mais ce coup là carrément en amateur. Donc, me v’là soit disant attaché. Quand je disais que ça risquait peut-être même d’être rigolo ! J’avais bien tout examiné. On se serait cru dans un film d’Hercule Poirot, ou dans le jeu de Cluedo. Du gâteau. Il y avait des armes de collection sur un mur : des sabres, des baïonnettes et même un yatagan. Je m’y connais, j’ai été avaleur de sabres aussi. Je n’avais plus qu’à attendre de voir comment ça allait se passer. Ils se sont assis les quatre côte à côte sur un grand canapé au milieu de la pièce. Juste en face de moi. Et puis le jeune con à été chercher un fouet. Il s’est approché. Celui qu’avait l’air du patron à dit “vous pouvez y aller jeune Homme“. J’ai vu le gros fouet (il avait pas trop l’air de savoir s’en servir) en cuir arriver à hauteur de ma taille et je l’ai paré avec mon bras gauche sur lequel il s’est enroulé sans me faire de mal. J’ai tiré un coup sec et le crétin qui ne s’attendait pas à ça est allé valdinguer dans le canapé au milieu des vioques. J’ai pris le manche bien en main , l’autre amateur l’avait lâché. J’l’ai fait péter deux trois coups dans le vide pour leur faire peur comme me l’avait appris Mariam, la dompteuse de tigres. Je suis allé tranquillement vers la vitrine ou j’ai pris le yatagan. Je m’en suis servi pour couper les rubans et tout le bazar de mon costume de fille à la con. J’ai gardé que le masque et les gants. On sait jamais. Et puis je suis passé derrière eux et je les ai tous égorgé sans prévenir avant qu’ils aient eu le temps de se lever de la profondeur moelleuse du cuir ; vite fait. Une entaille par personne, pas plus. Cinq beaux tchacs. Avec un bon yatagan —qui est spécialement fait pour ça— ça va vite ; surtout quand on sait bien s’en servir. Ils ont juste eu le temps de faire des yeux comme des boules de billard derrière leurs masques et de pousser deux ou trois cris de pintade. J’ai saigné le jeune en premier, because il était plutôt vif. Après lui, les quatre autres étaient empêtrés avec son cadavre sur leurs genoux. Ils étaient tellement sidérés qu’ils ont pas eu le temps de bouger ni de se coordonner. C’est plus facile que ça en à l’air quand on a le coup de main. J’ai bossé aussi dans un abattoir halal : « Bismillah Allahi al-Rahman al-Rahim». Bon boulot. Je les ai dépouillés en faisant attention. J’ai pas fait trop de saletés. J’ai pris les clés de la Studebaker, viré mon masque, gardé les gants (les empreintes), et je me suis barré avec genre trois quatre mille, j’ai pas eu le temps de compter. Les mémères avaient pas d’argent. J’aurais pensé faire un peu plus. J’ai laissé le yatagan sur le tapis. Pour la suite, c’est le GPS Garmin qui a fait tout le boulot. Je me suis dit que ça valait le coup de repasser par chez le guignol qui m’avait saoulé à la téquila. J’ai bossé au black dans un magasin de téléphonie mobile à Barbès pour débloquer des téléphones volés. Je sais me servir d’un Garmin. J’ai trouvé la mémoire du trajet aller. Pas compliqué. Chiant avec les gants. J’étais à Cognac et l’autre maison était pas très loin : à Châteaubernard. Je voulais récupérer le pognon qu’il m’avait promis. Et puis aussi pas laisser traîner le seul témoin à savoir que j’étais venu dans le coin. Si je passais pas lui fermer sa gueule, je pouvais pas prévoir comment il allait réagir. Bien entendu y’avait probablement mon ADN vomi-citron sur la banquette arrière de la Citroen et mes fringues sales qui devaient traîner quelque part. Mais qui connait l’ADN d’un sans papier ? Je suis donc revenu et j’ai sonné à la porte. Le mec est venu ouvrir et il m’a dit “Ah ! Te v’l’a. Ça a pas été trop long dis-donc. Il est à peine minuit. Du coup on va pouvoir rentrer tôt demain matin à Paris et je te payerai. Ça m’arrangeait pas trop d’être payé qu’à Paris. J’ai fait ma gueule d’ange. J’ai fais l’ange dans un film de travail pour un élève des beaux-arts une fois. Un fils à papa plein aux as qu’était amoureux de moi. Je suis irrésistible il paraît. J’ai dit en faisant les yeux doux : “J’aimerai bien avoir le pognon maintenant“. Et toc, ça a marché. Il m’a dit en me montrant une sacoche qui trainait sur le canapé à côté du piano : “D’accord, je vais te le donner. Je passe un coup de fil quand même avant.“. La suite à été fastoche comme tout. Je suis soit disant allé aux chiottes et en passant dans la cuisine j’ai pris un petit couteau à désosser bien effilé qui me tendait les bras et qui était facile à planquer dans mon jean le long de mon petit cul mignon. Tequila avait eu la gentillesse de s’asseoir sur le canapé et il était en train de compter mon argent. Il avait aussi mis mes fringues sales dans un sac en plastique. Vraiment un mec parfait. “Je passe le coup de fil et c’est bon“ qu’il a dit. Ses dernières paroles. Je suis passé derrière lui, et hop ! C’est moins facile avec un couteau à désosser qu’avec un yatagan parce que la lame est courte. Mais ça va pas mal quand même, faut juste pas louper la carotide. Et puis je précise qu’égorger des gens assis dans un canapé c’est du gâteau quand on peut passer derrière, ce qui était le cas. Il devait y avoir mes empreintes un peu partout dans la baraque et dans sa bagnole. Mais pas sur le manche du couteau que j’ai balancé dans une bouche d’égout en sortant. Les gants ! Les flics sont cons. Ils allaient retrouver le couteau dans l’égout, faire le rapprochement évident entre les deux massacres,, et constater qu’il y avait pas d'empreintes sur les manches, ni du couteau, ni du yatagan. Donc pas d’empreintes sur les armes des crimes ça veut dire grosso merdo que toutes les autres empreintes ont rien à voir. Enfin je me suis dit ça comme ça sur le moment. En fin de compte, je crois que je l’ai jouée assez fine cette partie. A la télé, les flics, ils sont malins, ils ont des intuitions, ils trouvent des pistes invraisemblables. Mais dans la vraie vie, ils se font pas tant chier. Ils manquent de crédit il paraît. Je regarde pas les infos mais la presse en a pas parlé tant que ça je crois. Je ne sais pas qui est le gugus qui a morflé. Surement Daesh, c’est le plus commode. Ils ne sont jamais remonté jusqu’à moi en tous cas. La suite, c’est que du banal : j’ai mis tout le fourbi, le pognon et mes fringues et les gants dans un sac en plastique de supermarché et je suis rentré à Paris par le train en laissant la Studebaker au parking payant de la gare. Ni vu ni connu je t’embrouille. Le lendemain soir je suis passé faire un tour au bar des Halles, histoire de vérifier quand même ce qui s’était passé quand j’étais paf bourré a la téquila paf. Le patron m’a reconnu et il m’a demandé comment j’étais rentré ce soir là ; la preuve qu’il le savait pas. Alors je lui ai seulement dit : “je sais pas, j’étais trop naze, mais je suis rentré puisque me v’là“. Le problèmes des voleurs et des assassins, c’est qu’ils croient qu’il faut bien préparer les coups. Mais non ! Il faut sauter sur les occasions. Moi j’ai fait plus d’une impro dans ma vie, et je me suis jamais fait toper.