Un matin, un lion et une hyène du Jardin des Plantes réussirent à ouvrir la porte de leur cage, fermée avec négligence.

Le Jardin des Plantes est un espace de bureau situé près de la gare d'Austerlitz. Un de ces Centres d'Affaires avec services où les entreprises choisissent de se domicilier pour avoir l'air importantes et ne pas recevoir de lettres recommandées au domicile de leurs gérants ; même si elles sont à la limite du dépôt de bilan.

La Hyène est une robuste femme de ménage bretonne de 23 ans et demi.

Le Lion, un vigoureux ramoneur quinquagénaire, occupe le poste élevé (avec des hauts et des bas) de gérant d'une EURL au capital de 1 euro (Ramonage-Assistance-Service) qui occupe un minuscule bureau au fond d'un couloir et un garage au niveau -3.

Notre odalisque pour industriels doit son sobriquet à l'habitude qu'elle a d'éclater d'un rire suraiguë dans certaines occasions. Une manie réputée chez les occupants mâles du lieu qui échangent parfois quelques propos dans l’ Espace Convivialté (la machine à café sous l’escalier).

Le Lion, pour sa part, doit son surnom à une crinière rousse héritée d'ancêtres irlandais.

Ce matin là, le Lion a remarqué la hyène.

Elle lui tourne le dos, à genoux dans un couloir. Elle frotte vigoureusement le linoléum gris chiné dans la perspective crème verdâtre d'un couloir éclairé aux néons. Elle pousse dans l'effort des soupirs entremêlés de jurons qui ressemblent à s'y méprendre à ceux qu'émettaient jadis sa regrettée concubine Martine dans d'autres circonstances.

L'enchaînement des idées qui se succèdent à ce moment là dans l'esprit du Lion est somme toute facile à comprendre : la croupe oscillante a éveillé en lui un émoi indiscutable ; et il n'a même pas besoin de voir le visage de la hyène pour en tomber éperdument amoureux. Il connaît son rire de réputation. Il l'a parfois entendu ici où là au travers les cloisons. Il souffle comme un phoque.

Sentant derrière elle, grâce à un troisième œil, une présence, la Hyène tourne vers le Lion deux grands yeux bleus pleins de soumission.

Et c'est ainsi, sans chichis, qu'ils se retrouvent dans l'ascenseur, en silence, en route pour le douzième étage où se situe le placard spacieux et isolé qui sert de remise aux produits ménagers et accessoirement de vestiaire aux agents de la maintenance.

On imagine difficilement tout ce qui se traite dans un centre d'affaires.

La besogne est aussi rapide que la négociation préalable.

Toutefois, de retour dans l'ascenseur, les fragrances échauffées des deux corps, sublimées par l'espace confiné, provoquent chez le Lion un regain d'ardeur mâle. Il cherche par de grands gestes maladroits à obtenir un supplément de service ; mal accepté par le solide bon sens rural de l'autre.
Elle cherche à fuir en secouant les barreaux en dépit du solide bon sens dont nous venons de parler.

Et c'est ainsi qu'un matin réussit à s'ouvrir la porte de leur cage (d'ascenseur) négligemment fermée et que l'on retrouva en bas deux corps de grands fauves disloqués.

Le syndicat des gens de maison appelle à un débrayage général de deux minutes chez les techniciens de surface afin de lutter contre « le manque évident de mesures de sécurité dans les locaux du patronat ».