Il y avait là des Pissarro, des Dufy, des Soutine…

Martine Bonnafau était fière du goût très sûr de son époux. Elle lui serra le bras et s’enquit d’un air détaché :

- Je suis intriguée qu’un connaisseur comme toi ne se laisse pas tenter. C’est en plein dans tes goûts tout cela, non? Ni trop classique, ni trop contemporain.

- Vois-tu ma chérie, c’est un peu au-dessus de nos moyens. Il vaut mieux que je ne rentre pas.

- Allons, juste par curiosité, insista-t-elle.

La galerie était déserte. Sur un petit guéridon se trouvait une liste des œuvres exposées avec leur prix. Le petit Picasso de la vitrine était annoncé à 400 000. Bonnafau eut un coup au cœur.

- Ce n’est pas le bon prix, murmura-t-il à l’oreille de sa femme.

- Pourquoi dis-tu cela ? Lui répondit-elle, c’est un Picasso tout de même !

- Oui, mais je ne veux pas dire qu’il est trop cher, cela devrait être un million ou deux au bas mot.

Martine regardait son mari la bouche ouverte. Soudain, ils entendirent un bruissement doux derrière eux. Le galeriste était apparu comme par enchantement.

- Puis-je quelque chose pour votre service ?

Son accent suisse était discret et feutré comme le tissu de son costume d’alpaga. Bonnafau toussotant d’un air un peu gêné demanda :

- 400 000 euros, c’est bien le prix du petit Picasso qui est en vitrine ?

- Excusez-moi, répondit l’homme, mais les prix sont en francs suisses. En euros, cela doit faire aux alentours de 300 000.

- Mais c’est impossible, ce n’est pas le prix d’un Picasso !

- Bien entendu Monsieur, répondit l’autre, mais ce n’est pas un Picasso. C’est une copie d’une remarquable qualité, à s’y méprendre. La petite étoile à côté du nom de l’artiste renvoie à la note en bas de la feuille des prix et spécifie clairement cet état de fait. Mais je comprends la méprise de Monsieur.

Bonnafau demanda à tenir le tableau dans ses mains. On le lui passa. Rentré chez lui, il envoya incognito un expert, homme de confiance. Ce dernier confirma l’incroyable conviction du collectionneur : le Picasso était bien un Picasso.

- Sans l’ombre d’un doute, ajouta le spécialiste.

Quelques jours plus tard, Bonnafau sortait de la galerie avec un paquet enveloppé de papier kraft et un crédit supplémentaire sur les bras. La semaine suivante, le couple Bonnafau invitait l’ami expert à dîner pour le remercier du service rendu. Dès qu’il eut une coupe de champagne à la main, ils l’emmenèrent fièrement contempler ce qu’Edmond appelait déjà “mon Picasso”. Mais l’autre s’écria aussitôt :

- Ce n’est pas le tableau que j’ai vu à Genève ! Celui-ci est une copie ! Pas trop mauvaise en réalité, mais il ne vaut rien du tout !

Le tableau, le vrai, confié à cette époque pour un nettoyage à un adroit restaurateur de Vevey devait rejoindre peu après les cimaises du Musée de l’Hermitage à St-Petersbourg. Dans un cas comme celui-ci, c’est le certificat de non-authenticité qu’il faudrait encadrer.