Elles s'insinuent comme des serpents venimeux au fil des eaux qui ruissellent, emportant les pensées inutiles qu'on ne peut pas noter puisque le papier se délite sous l'eau.

Les pensées en revanche se raffermissent au contact de ce fluide lustral.

Pensées mornes d'abord, puis qui se lavent et se décrassent.

Pensée du défaire l'inexplicable entrelacement des choses du monde, impossibles à décrypter avec pourtant la conviction que ce fil mécanique à la marche lente de la vie existe, qu'on le comprend,
qu'on s'en sert comme on marche pas à pas sur un chemin,
qu'on arrivera un jour là haut où les peuples sont heureux et éthérés ;

car il est plus nécessaire encore d'être éthéré qu'heureux peut-être.

On touche, on tâte les morceaux du corps les plus animaux et répugnants avec le simple geste du médical, d'où l'érotisme est absent, et pourtant tapis juste derrière,
où le plaisir est dans l'habitude, le besoin de sentir le savon glisser sur la peau, puis la nécessité et absurde urgence de s'en débarrasser à grand jets d'eau chaude,
puis parfois pour se punir, finir en se flagellant d'eau froide,
glacée et saisissante qui congèle cette fois pour un instants de saisissement la pensée entre les mâchoires de glace du refus du corps face à la volonté torturante de l'esprit : « prends ça ! Ah ! J'ai dis, Corps.
Reçoit cette onction glaciale sans broncher, et ne t'autorise qu'une seule inspiration brusque avant de fermer tes écoutilles et de te raidir à cette perception trop violente que pourtant tu espères ».

Nulle part plus que sous la douche n'est opérée la séparation entre la matière et l'esprit.

C'est cette sensation même que nous déplorons et pleurons lorsque la mort déchire l'enveloppe charnelle en rendant l'âme au néant.

Nous le déplorons pour les autres que nous aimons,
que nous respectons,
que nous admirons,
que nous désirons.
Nous l'aimons et le souhaitons pour ceux qui nous dérangent dans cette marche inlassable vers ce moment ultime qui se présente pour chacun comme l'aboutissement suprême de nos efforts dérisoires à débrouiller l'écheveau de fil de fer tordu du sens de nos existences absconses.

La douche, seul lieu méritoire où la force humaine se purifie religieusement sans croyance. Amen.

Serviette rugueuse : ite missa est.


Mais il sent la révolte qui monte. La vibration du plaisir, la fête du corps fouetté par le froid, la vibration physique de bonheur est dissipée. Elle laisse place au retour de l’horrible, à la violence, à la révolte. Il se durcit. Il voudrait dormir, mais c’est une impression d’insomnie diurne qui s’impose. Il faudrait avoir le courage de trancher le vif, pour s’évader enfin de cette enveloppe, ou bien de la voir enfermée, contrainte tellement qu’aucune vie autre que l’intellectuelle ne soit possible. Échapper à la matière. Trancher. Avoir des insomnies le jour ! Rendez-vous compte ?
___