J'avançais dans un couloir
Interminable
Comme une gnossiènne
En plan américain
Un travelling durassien
Convenable
Pour une série télé foireuse
Et en plus prétentieuse
Moi, actrice de classe
À la beauté de glace

Sous mes pieds, une moquette
Démodée
Et mes cheveux dénoués
Affalés sur la nuisette
Cachant mal mes seins
Qui commencent à s'affaisser
Du travail assuré
Pour les deux Annie
La maquilleuse et l'habilleuse
mes amies

J'étais censée
Être belle, être désirable,
Quel métier !
Ce couloir, vingt fois
Comme une gnossiènne
Je l'ai marché
Coupez ! disait Bernard
Au bout, une porte fermée
Où l'assassin
Devait m'étrangler
Avec sa tête d'étranger
J'étais censée
N'avoir rien deviné
Les électros, eux
Se contentent de rigoler

Des scénarios comme celui là
J'en ai déjà joué cent fois
Avec sang, meurtre,
Un peu de sexe ma fois
Un bateau de luxe,
Des trucs comme ça.
Tous basés sur mon image
De fille à la fois sexy et sage
Réduite à ces séries
Par l'âge

Et je marchais
Et je me disais
Qu'il ne manquerai
Pour finir ce truc en beauté
Que d'y ajouter,
Au montage,
Au lieu d'une musique sauvage
Une gnossienne de Satie
Comme l'on fait aujourd'hui

Et à la projection privée
Ça n'a pas raté :
Elle y était
La gnossienne de Satie
Interminable
Et si loin du chat noir
De l'humour noir
De l'auteur péripatéticien
Pathétique
Du musicien chantant seul
Sur les champs Élysées
Vides
Au petit matin

Si loin des notes arabesques
Si drôles
Si décalées
Voici
Cette mélodie distinguée
Hérissée de notations décalées
(ici passe un académicien)
Totalement usée
(carrefour de la Sainte Croix)
Réduites à la triste
Sentimentalité

La preuve
Que le sublime
S'use si l'on en abuse
Comme moi
Triste actrice
C'est terrible de vieillir.
Comme une gnossienne décatie.