Ce soir encore
L'ouverture du rideau
Dévoile silencieusement
Le trou noir de la salle.
On dirait qu’elle est vide.

Je suis seul
Avec l'ombre de ma vieille carcasse et l'aura de ma tignasse grise
Aveuglé par la poursuite,
Alors que décline la clarté de la rampe,
Assis.

Ma vieille vielle à roue, ma dernière vieille amie
Bien calée sur les cuisses, je ferme les yeux.
Gros soupir
Un coup de paume, un tour de manivelle
J'envoie le grincement sur mon vieux pantalon

Ça y est
Le bourdon est posé sur le silence
Il me déchire le ventre
Il faut moudre le temps, Il faut coudre les ans, interminablement
J'écoute la longue plainte
J'écoute la longue plainte
J'écoute la longue plainte
J'écoute pour savoir quand envoyer le cri

Ça y est
J'y suis : il a surgit
De ma gorge éraillée monte un gémissement
Plein de justesse ; et plein d'imprécation
Tous mes copains sont morts, bien sûr Dieu n'a rien fait
J'écarte les épaules et ouvre mes poumons
Mon tourment se déchaîne, je blasphème
J'éclate d'un rire dément : viens me chercher Satan
Que vocifère mon feu dans ton calorifère
Je suis plus grand qu'Hugo, Peïre Vidal et Verlaine
Je suis un vieux païen qui ne craint pas la mort
Je veux revoir encore les yeux de mes complices
Luxuriante jeunesse, luxurieuses amies
Lucifer, force occulte, qui que tu sois
Brûles nous tous, si tu veux, mais laisse moi chanter
Loin des couloirs austères aux senteurs d'hôpital
Revenez, cortège, dansons ensemble
Venez autour de moi, amis
Oubliez vos ulcères,
Les vers et le pourri qui couvrent vos ossements
Venez autour de moi, ne me laissez pas seul
Oui, viens aussi toi, que je ne connais pas
Écoute les souffles, mes rafales
Et les plis de la mer
Regarde l'horizon

Mais il n'y a personne
Y a-t-il seulement devant moi, dans le noir, un public ?
Que fait dans mon poignet
Ce son indifférent vibrant mon pantalon ?
Et ma voix écornée, dans ma barbe poivrée
Je l'entends étrangère
Et au lieu de chanter je me mets à penser
Aux nefs solitaires
Aux astronefs cuivrés
Aux sidéraux espaces
Aux astres égarés dans l'univers glacé

Je me suis arrêté

Pas d'applaudissements
Une abyssal violence
Je suis déconcerté

Et pendant ce temps là, ils ont tout démonté,
Les indifférents des coulisses et leurs trousseaux de clefs.
Le décor est plié.

Plus de poursuite : seulement la lune,
Blafarde, comme chacun sait ;
Qui contemple le dernier homme.

Aller la vieille : retourne dans ta valise
Maintenant : où aller ?