Je voulais échapper au bruit des angles morts que ma gorge serrée m'obligeait à avaler jour après jour, au risque de m'étouffer. Je pensais que là bas, sur ces chapelets d'îles presque désertes, c'était l'oubli du monde qui serait ma seule habitation.
J'ai donc emporté quelques vêtements chauds, ceux qui servent ici pour les sports d'hivers.
Je voulais un bord de mer sauvage, faisant face à l'immensité vide du grand nord. J'ai trouvé, à l'écart d'un village, une de ces petites maisons qui sont louées l'été aux touristes en mal d'exotisme minéral.
L'hiver, on me l'a laissée pour rien.

Le propriétaire était trop content de savoir qu'elle serait chauffée pendant les périodes de glaces. Car il paraît que les tempêtes elles même sont ici parfois fixées en chaos immobiles par des températures incroyablement basses. Elles saisissent alors les vagues immenses comme un ciseau de sculpteur le ferait dans le marbre.
J'ai vu cela. Dans le crépuscule précoce d'un soir de décembre encore doux, j'ai vu venir vers moi descendant droit depuis le nord, à l'horizon, sur la mer gris acier, un mur noir.
C'était une tempête mortelle. Heureusement, on m'avait prévenu de rester à l'abri.

La nuit passa dans un vacarme de fin du monde, des fracas incessants que je croyais devoir tout ensevelir. La vétuste maison de bois craquait comme un navire en plein naufrage dans un conte de Stevenson.

Le lendemain matin, tout était transfiguré. Une vieille grange s'était effondrée. Le sol était couvert d'une poussière de neige gelée formant des congères. Derrière chaque forme familière, elles se déployaient comme des écharpes et toute la vue, au delà du rivage de la mer d'habitude si mobile, était transfigurée, zébrée de cônes blancs aux reflets bleutés, avec des poussières fines et tourbillonnantes levées encore ici et là par des résidus de vent sous un soleil d'une pâleur de spectre.

Alors j'ai compris ce que je venais chercher au nord de la mort : la lustrale blancheur qui recouvre la mer, le pôle nodal de l'absence de tout, la chose enfin blanche.