Il y a les revues en lambeaux que je ne lis jamais et qui pour la plupart datent du siècle dernier.

Il y a une caisse de plastique jaune vif dans un coin avec des Legos dedans et des livres multicolores défraîchis épais, en carton, posés en vrac à côté.

Je suis tout seul et j'attends. C'est chiant. Les vitres sont dépolies. On ne voit pas la rue.

Quand je suis arrivé, tout à l'heure, il y a déjà bien longtemps, il y avait une grosse dame qui se mouchait toutes les cinq minutes et un jeune, capuche relevée, qui faisait trembler sa jambe, le regard obstinément cloué entre ses Nikes.
La porte s'est ouverte et le jeune homme (Monsieur Berhahal) s'est engouffré derrière la blouse blanche. Puis, cinq minutes plus tard, ce fut la grosse dame (Madame Ladret).
Depuis je suis tout seul.
J'avais bien saisi une bande dessinée, mais c'était un truc laborieux fait par un laboratoire médical pour expliquer aux d'jeuns qu'il faut acheter des capotes et tout ça ; à cause du sida et que les filles sont pas faites comme es garçons, et que quand on est jeune on ne se rend pas bien compte, et tout ça. Le genre d'histoire où le méchant fume et le gentil met une capote.
J'ai vite laissé tomber.

Et la grosse dame est manifestement un gros chantier car j'attends depuis au moins une demi heure et je m'ennuie.

Sur le mur il y a quatre affiches : une fille entre deux âges saute de joie pour expliquer que ce n'est pas honteux d'avoir des fuites urinaires, une grise et marron —solitude— pour donner le numéro de téléphone d'un service où on doit pouvoir dire ce qu'on ose pas dire ailleurs, et enfin une où il y a un couple de quinquagénaires sur un voilier au sourire outrageusement débordant de bonheur : ils sont ravis d'avoir fait une coloscopie avant de partir en vacances. Car le cancer s'attaque aussi aux intestins des riches, ce fumier de prolétaire vulgaire (enfin ça, ce n'est pas l'affiche qui le dit, c'est moi qui commence à fabuler et à me raconter des histoire subversives pour tromper l'attente).

La quatrième affiche, c'est pour dire que le praticien est conventionné, qu'il pratique des honoraires comme ci et comme ça, etc.

Ding Dong, … Ding Dong… quelqu'un est entré dans le couloir.

Ce doit être mon successeur.

Mais une porte s'ouvre et ça brouhahate derrière le carreau dépoli où s'agite la blouse fantomatique du praticien.

Les portes se referment. Le silence retombe ; et je reste seul avec mon gros cul sur mon petit siège.

Je change tiens !

Je vais me mettre sur celui qu'occupait la grosse dame tout à l'heure : il a l'air plus confortable et il est face à la porte.

Je me fais tellement chier que j'attrape un “Ça m'intéresse“. J'apprends rapidement que des scientifiques américains ont confirmé que l'univers est plat et en expansion. Ce coup-ci c'est prouvé. C'est la galère pour Galilée.

Je commence à lire. Mais la porte s'ouvre et le praticien me regarde droit dans les yeux : “Monsieur Anonyme, c'est à nous“.

Je jette précipitamment la revue sur la table et me lève sans plus attendre.