Mes parents s'étaient battus pour ça, étaient morts pour ça.
J'avais le sentiment d'être émancipé.
J'avais toujours eu le sentiment d'avoir le privilège d'appartenir à une civilisation protégée.
J'étais jeune, fort, et fier
Prêt à mourir pour ça puisque parfois il le faut bien.
Je pensais sincèrement avoir mérité mon autonomie.
Je m'envisageais membre d'un groupe audacieux.
Les fondements de ma culture étaient un héritage solide
permanent
reçu de mes ancêtres.
Tous ces paysans et ouvriers, ces commerçants, ces bourgeois, militaires ou étudiants, tous des valeureux résistants —chacun à leur manière, parfois dure et parfois molle— avaient, me semblait-il, gravé dans le marbre les principes garantissant mon confort définitif. Mes certitudes.
Choses transmissibles à mes enfants, comme elle m'avaient été transmises par mes parents.
Ce que nous avions bâtit continuait de se bâtir et c'était l'ordre naturel des choses.
Des bases inaliénables conquises au prix de tels sacrifices, de tant d'intelligence, que plus rien désormais ne pourrait les ébranler.
J'ai toujours exigé le meilleur, sûr de pouvoir, de devoir l'obtenir.
La rudesse était devenue un plaisir consenti, comme une vacance.
L'effort, la fatigue, n'étaient que prétextes à camaraderie
douches chaudes et siestes réparatrices.
Soirées de rires et de jeux.
J'allais ainsi dormir dans la forêt, la nuit, en hivers, conscient toutefois que l'ours, le loup et les brigands en avait disparu et qu'au pire, on ferait le nécessaire pour venir me sauver si je tombais.
Quand bien même, je mourrais ; et alors ? C'est dans l'ordre des choses.
J'ai beaucoup souffert à cause des femmes. Mais j'en ai moi aussi fait pleurer quelques-unes. Ça aussi c'était l'ordre des choses.

Mais par quelle succession de subreptices glissements me suis-je retrouvé vulnérable?
Un matin, je n'ai pas trouvé mes vêtements à la place habituelle où je les posais.
J'étais nu comme un ver.
J'avais perdu la veille un petit livre aimé que m'avait offert une amie.
Ce matin là, je me suis réveillé fragile, inconsolable.
Depuis tout est différent.
Je garde le même masque évidemment, mais j'ai peur.
Où tout cela va-t-il me mener ?
Quel intérêt y a-t-il a vivre ainsi dans la frayeur ?
Pourquoi ai-je perdu mon bien le plus précieux ?
Pourquoi suis-je devenu vulnérable ?
Où ai-je bien pu fourrer mon insouciance ?
Combien sommes-nous ainsi à tenter de donner le change à notre entourage ?
Pourvu que le bras que je serre aujurd'hui et qui me guide ne se dérobe pas.

Mes amis sont-ils dupes ?

Y en a-t-il qui comme moi se sentent vulnérables ?