Je choisis dans la rangée de cabines de bois peintes celle qui est la plus éloignée de l'eau, la plus isolée. Je pose ma serviette sur l'une des petites installations individuelles situées à proximité : une chaise longue avec petit pare soleil réglable individuel, parasol et tablette. J'aime ce goût simple des italiens pour le confort décontracté.

J'aime cette petite piscine publique plantée comme une oasis en plein Chianti aride, au milieu des champs d'oliviers et de vignes. De l'intérieur, on ne voit ni le parking ni la route qui sont masqués par le bâtiment du restaurant et des douches. On ne voit que les ondulations figées des collines rythmées par les ponctuations noires des cyprès, par quelques courbes empierrées, traces de matières grèges dans les bosselures d'herbes jaunes. On ne voit même pas la clôture qui nous sépare du paysage alentour.

Je suis au bord du miroitement bleu vif de l'eau transparente, si propre et lustrale. Je vois danser au fond la mosaïque déformée. De l'autre côté du grand bassin un grand diable de barman gominé vient d'allumer la radio. Du classique. Probablement Vivaldi, ou peut-être Mozart ; très doucement, très lointain. Dès qu'il y aura du monde, on n'entendra plus rien. En attendant, c'est plutôt agréable. J'aime ce grand bar design avec son toit de paillote, avec sa grosse publicité Bitter San Pelegrino et son bac Gelati Motta. Je sens les dalles déjà presque brûlantes sous mes plantes de pied.

J'aime le matin. J'aime l'Italie, j'aime les piscines désertes.

Je plonge. J'entends avec délice l'eau se déchirer autour de mon corps. Je sens l'onde fraîche m'envelopper comme un drap de douceur. Je vois des scintillements colorés au dessus de ma tête et j'expulse hors de moi des bulles groupées comme des grappes de chasselas.
Je me débat contre l'eau. Elle me chahute. On joue un peu au chien et aux éclaboussures. Enfin, je nage longuement, en essayant d'aller bien droit, en suivant les lignes tracées au fond.

Lorsque je sors de l'eau, d'autres gens sont arrivés. Il me saluent de la tête, souriants et polis comme des toscans. Je suis content de leur répondre.

J'aime les gens souriants qui vont à la piscine de bonne heure le matin.

Tout mon corps est en fête et ma peau fourmille de bonheur.