Est-ce une histoire pour monter un spectacle de danse ? Et le chasseur soudain comprends qu'il est devenu la proie.

Au centre d'un réseau. Toutes femelles fumantes rodent avides dans les nuits. La pauvre proie tremblante de désir et de peur passe sans transition de la colère aux sanglots, de la tristesse au rire, du calme plat à l'anxiété trépidante, comme une soupe au lait, comme une métaphore, “Loin du temps, de l'espace, un homme est égaré“. Toutes ces femmes sont un palais des glace, un train des épouvantes.

Silencieux dialogue avec la casserole de zinc emplie de nouilles tièdes. Bruit du gaz.

Chêne brut de la table ; cercle intime des rêves éparpillés, comme des miettes, “…les deux bras en avant pour tâter le décors — d'ailleurs inexistant…

Fadeur mièvre de la nouille, mastication pensive de ruminant, angoisse des clôtures et rectitude du sillon ; et la torpeur métaphysique glisse de pensée huileuse en pensée huileuse jusqu'au fondamental problème de la cuisson des pommes de terres à l'huile, si difficile, si chargée de savoir faire hérité de siècles de culture.

Et encore besognant sous le joug de l'attelage librement consenti. Tracé sans complaisance d'un passage au delà de la terreur de vivre, du “métier de vivre“ disait Pavese.

Saut au dessus du vide. Trace bleue, oh, trace bleue, sauras-tu dominer l'écœurement mauve de la nuit verte de bientôt ? Dans le ventre profond comme l'enfer de la tombe, les nouilles gargouillent et agissent sournoises contre l'effet du whisky bon marché.

Comme C ; vient de me réveiller par téléphone, je réalise qu'il est très tard. Mon bain coule, un pan de réalité ne va pas tarder à basculer, comme chaque matin. Foire froide dehors. Un temps pour la paresse de la pensée, pour la mollesse. L'attente est comme une évidence de non sens (obviously nonsense). Notion éminemment british : attendre qu'il cesse de pleuvoir pour être heureux.

La foire est noyée sous la pluie qui se transforme parfois en rafales de neige fondante. Un jour encore plus gris qu'un autre. Les parapluies de la foule compacte s'entrechoquent et ruissellent dans les cols. Les bancs de pulls sont overs de plastiques glacés.

Puis je rentre et j'écris. Pour le magazine “Marche“, un abécédaire sur l'escalade. Vite fait. Facile et bien payé.

Tant que le temps ne sera pas venu, tant que les pages ne seront pas remplies, ton âme sera errante. Tant que le blanc sera restant, que le contenu ne sera pas obtenu, alors pas de miracle. Il faut écrire. En attendant, impossible de faire ou d'espérer autre chose. J'ai fais deux interviews dans la journée : cet écrivain là (je ne veux pas dire son nom, il m'agace), et ce grand directeur tout beau tout nouveau.. Et puis ce feuillet de souvenir pour les archives de l'ORTF à Paris. Tout fait bien comme il faut. Content.

J’éteins. L'envie d'écrire une ligne m'assaille aussitôt. Je rallume. Les pieds sont dans la boue des sables, la tête incertaine hésite à dormir. Pousser un hurlement silencieux dans le vide nocturne, écouter son écho.

Ennui des autres tant désirés ; et qui sont décevants comme un mauvais film.

Signer tout ce qui est évacué : est-ce une solution pour s'affirmer ? Étrange, je t'avais survolée ; puis ce furent des têtes dos à dos pour marquer l'indifférence. J'aurais voulu te voir durer. A croire que la peur fouaille nos ventres. Enfin seuls ; et finalement privés du désir qui, en public, suinte de partout. Peur de se regarder peut-être ?

En tous cas, il semble que ça soit queuté entre nous.

Lumière grise sur la place enneigée, avec les lampes allumées dans les bureaux de la grande bâtisse napoléonienne en face. La Mairie. Coltrane sounds. Sound man. Les flocons sont tombés hier soir comme dans un poème d'Émile Verharen

“J'aime le vent, l'air et l'espace ;
Et je m'en vais sans savoir où,
Avec mon coeur fervent et fou,
Dans l'air qui luit et dans le vent qui passe.“

Les gens se pressent sous la bourrasque et le frimas leur court après…

Persistance vibrante du malaise profond comme un bourdonnement électrique. Déplaisante odeur de chaud dans l'air froid.

Soirée pétaudière à fleurter (bouquet de flirt) avec l'une, puis avec l'autre qui se regardent en chiennes de faïence. Puis la rouquine gironde et sympathique dont je ne parviens pas à mémoriser le prénom qui m'a demandé si : “tu es généreux“. Répondu “non“. Il y avait la vieille E. ; toute habillée de noir et ses mines catastrophes, qui dévore tout de ses yeux de poisson mort. Et sale avec ça, et triste…et silencieuse, inquiétante. Si je séduis, c'est que je suis hors de moi.

Dimanche matin : O ! soleil majesté ; illumine les cimes poudrées !

Au marché, la voix puissante et nasillarde d'un étal m'a donné une idée amusante. Idée toute d'abstraction puisque je n'en ai ni la trame, ni le contenu, ni l'ambiance. Un truc minimaliste comme le prétexte d'une nouvelle romaine de Moravia. C'est tout. C'est à dire rien. Mais pour une raison inconnue, avoir eu cette “non idée“ me réjoui.

Série de poèmes. Du lundi, du mardi, etc. Avec pour chaque jour une série de strophes correspondant à : matin, midi, après-midi, crépuscule, soir nuit. Une semaine fait donc six fois sept strophes, soit quarante deux poèmes ou stances, comme on voudra. Un mois serait déjà un ouvrage considérable. Partir d'une seconde et embrasser une vie, etc. Comme un big bang. Aller retour de l'instant à la saga, etc. Voler vers l'infini, vers les abysses incommensurables, les espaces profonds, et revenir chaque fois à la fragilité de l'instant juste présent, juste passé, juste à venir. Le rond jaune de la lampe d'écriture ; la table de chêne brut ; le présent de la vie.

Encyclopédie des styles. Chaque contenu module la forme de son récipient : le polard en langue populaire, le sentimental en langage rococo avec des mots précieux et rares, des tournures un peu archaïques, le rapport scientifique accablant de lourdeurs et incompréhensibilités, le texte érotique indigent, le roman historique “bien écrit“, etc. L'œuvre enfin qui fait n'importe quoi. Je (moi je) fais n'importe quoi parce que je ne peux pas faire autrement. Je ne suis pas un professionnel. Toi t'es toi. Il ne sait plus ce qu'il raconte. Nous sommes perdus. Mais la passion des listes pourrait bien m'obliger… à l'indécision. Une pièce de boulevard, un drame antique, un western, une saga, une farce, une pantomime, un opéra, un récit de voyage, un dialogue, un monologue, une fresque barbare, un huis clos, un monologue extérieur… un boulevard intérieur, un quartier excentrique dont les pentes dévalisent dans la rizière… Il m'en reste des choses à écrire ! Ce n'est jamais fini : je suis Sisyphe. Voici mon épitaphe, qu'il n'est jamais trop tard pour écrire (merci de me la faire porter chez Tartare, j'y suis généralement, avec des hauts et des bas, et des jarretelles parfois).

…Fils du vent

…Et de ma mère colombe

Malin

Avare et menteur

Je tue les voyageurs

J'ai trois fils corrompus

Au moins

Glaucos étant le pire

Témoins ses chevaux fous

Bref, une vie de patache

J'ai trompé la camarde

Et refusé d’obéir

J'ai même dénoncé Zeus

Qui couchait

Avec des femmes volatiles

Ça ne fait pas

Je suis le héros absurde

Du travail inévitable

De la mort interminable

Imaginez-moi

Sisyphe

Heureux

La pizza était lourde, provoquant des suées de sommeil et des rêves confus. Depuis des jours, ce ne sont que songes bavards et bruyants qui assaillent la ténèbre singulière ; trouée finalement à grilleure par le cri du réveil.

Je vais au cinéma quatre fois par jour. Festival et fatigue . Nuits avec des actrices au champagne gratuit.

Marche en raquettes dans la neige poudreuse et profonde : je déteste ça. Je n'ai pas de revanche à prendre sur la nature.

Tout vibre en ville ce soir. La nuit est ardente. Surtout ne pas sortir. Le gibier doit savoir se terrer au bon moment.

Il lui faut quatre femmes

Sœur, amie, amante et mère

La première de face

Patience de l'attente

La seconde à côté

Faite pour la discute

La troisième au dessus

Ambrée comme un Madère

La dernière au teint doux

Pour s'y assoupir

Sœur, amie, amante et mère

Toutes les autres
Ont la fleur rouge amère