Debout,
Tu as fini d'avaler le bol de la nuit
Tu es la pierre qui veut éclater une étoile

Lui crever l'œil
Tu es celui qu'elle aime, et tu l'aimes
Mais c'est un autre qui dort avec elle.
Ton turban de roi n'est qu'un bruit de lumière
Et tu n'es encore qu'un enfant

Tu as rêvé la main gauche dans un nuage
Lointains, tu entendais des hurlements d'ivrognes
Une voix s'est détachée disant :
"Viens boire, petit, viens boire ton verre
Avant que ta vie se soit évaporée“
Tu dois grandir petit coq
Et tu entends à ta porte les hurlement des ivrognes
“Ouvre petit ignorant, sacripant
Il ne reste pas beaucoup de temps avant l'aube“

Alors le front enfiévré de tous ces livres
De ces ouvrages pondus par des corbeaux malfaisants
Tu pèses le pour et le contre
Le bien et le mal
Le bon et le mauvais
Le plaisir et le désagrément
La joie d'être aux autres
Le plaisir de ton égoïsme
Le déchirement de ta solitude
La musique qui coule à flot…
Rire ou pleurer ?
Quelle attitude adopter ?

Ceux qui sont partis ne reviendront jamais.
Profite de ceux qui restent.
Ils veulent que tu boives ta vie dès à présent.
Ils savent et veulent t'initier.
Mais ton âme pensive est allée se coucher
Tu veux raviver les vieilles envies de ton enfance
Et t'acheter une conscience neuve.
Tu t'es déjà trahi tant de fois.
Tu vas te confier au divin
Ou bien au vin tout simplement
Tu essayes

Lui s'est enfui en emmenant les roses
L'autre fait encore tinter son verre sans raison
Il tente d'arracher un éclat de rubis à sa mine défaite
Il tente d'aspirer un reste de souffle marin
Il essaye

Tu restes lèvres closes
Il crie : “du vin ; encore du vin rouge“
Ses joues virent à l'incarnat
Il veut en remplissant ta coupe
Te donner le rossignol et la rose
Le feu du printemps
Tu dois te mettre nu
Jeter au loin les vêtements de l'hiver

Debout
la nuit est envolée
L'oiseau du temps est bien loin
Arrache ta nuit de cabaret
Aborde ta journée d'un front serein
D'un œil clair, tu es un jeune Dieu
Mets un pied devant l'autre jusqu'à ce que mort s'ensuive.



****

Nous aimons le plus beau et le meilleur
Le destin cru
Le silence pour se reposer
Et le bruit joyeux
Que nous faisons dans la chambre
Sous le divan de la terre—pour qui ?
Mensonge de la poussière
Poussière dans la poussière et dans la poussière
Sans chanter, sans fin
Un regard vers demain
Fous nous disent les sages
Pour cela vous serez récompensés
Tous discutent doctement
Des mondes tels qu'ils sont
Ou ne sont pas,
Ou devraient être
Des mondes si intimement imbriqués
Savamment entrelacés
Plongés les uns dans les autres
Et nous sommes prophètes insensés
Prophètes méprisés
Pleins de mépris pour nous même
Du dédain qui s'écoule de nos bouches
La lave des cerveaux en ébullition
Et c'est parfois de rire
Et c'est toujours l'abandon
Dès qu'il s'agit de sagesse
Il faut renoncer
Marcher vers la mer
Travailler et s'abrutir
Vivre des vies d'oiseaux
Car les volatiles se multiplient
Se prolongent en rites immuables
Eux seuls sont permanence
Et s'ils viennent à mourir
Nous sommes morts aussi
Une seule chose est vérité certaine :
L'oiseau ne ment jamais.
Moi si.
J'ai aligné tous les arguments possibles
Tous étaient faux
J'ai toujours menti
J'ai toujours suivi le même chemin mensonger
Comme de l'eau
J'ai coulé le long des pentes naturelles
Et c'est ça la vie
Nul jugement
Nous sommes comme le vent
Imprévisibles et capricieux
Je ne me suis jamais demandé
Vers où je me hâte
Et pourtant je suis avant tout curieux
Je ne suis qu'impertinence
Mauvais sujet
Parmi les braves gens
Et peu à peu
Mes amis meurent
Un nœud pour chaque destin
Un filet clair sur de la mousse
Et des hommes pierres
Un peu partout autour de moi
Réprobateurs.
Il y a les sept portes
Le centre de la terre
Le trône de Saturne
Il faut trouver des clefs
Il faut lever des voiles
Et puis nous devons avoir cette petite conversation
Toi et moi
Tu dois me dire pourquoi j'ai pleuré
Qui est cet agneau
Sauvage, sauvage, sauvage
Trébuchant dans l'obscurité avec ses enfants
Aveugle et qui voit tout
Un varan géant
Coincé dans la trachée
Chaque seconde d'écriture du poème
Chancelant
Je dois le cracher, le tousser
Cette seconde d'éternité qui ne reviendra jamais
Si je n'écoute pas son souffle
Elle est perdue

Pourquoi suis-je moi
Penché sur cet abîme ?
Qui m'attire tant
Que j'aime plus que tout
Est-ce là ma vie ?


****
Sur l'herbe fraîche qui s'offre
Aux lèvres de la rivière
Nous nous appuyons.
Pour qui le sait
C'est ainsi que jailli la beauté invisible.

Et regarde :
Je me suis éveillé
J'émerge de mes dispersions
De mes pensées embourbées
Et s'allume avec le parfum du pain grillé
Et des boissons infuses
Ce premier mois d'été qui apporte lilas et roses
Ce mois d'éveil

Venez avec moi
Oubliez avec moi
Laissez-le jeter ses idées comme il le désire
Venez,
Il veut rester, qu'il reste
Rien n'oblige à suivre ses destructions

Viens plutôt sur cette étrange bande d'herbe là bas
Qui sépare simplement le désert de la terre cultivée
Où ne règne pas de roi
Où ne peine pas d'esclave
Et où se partage l'univers
Ici, avec une miche de pain sous la branche,
Un flacon de vin, un livre de vers
Le tiens qui est gai et frais
Le mien parfois sombre
Selon les temps et l'humeur
Et cet autre qui nous fait rire aux larmes
A côté de moi chantant dans le désert
Et cette sauvagerie qui nous environne
Est le paradis
Maintenant

Doux et mortel
Réfléchir
Est-ce que les autres sont heureux ?
Dois-je prendre l'argent dans mes mains
Et renoncer au repos ?
Qu'elle est brave

Comme je suis brave
D'écouter le roulement du tambour au lointain
J'écoute ce qui souffle sur moi
Ce souffle qui dit “souffle et plaisante“
Caresse le gland de soie de ta bourse
Et jette tes trésors à tous vents
Avec tes pattes ravisseuses
Qu'elle est brave

Larmes sur son jardin jeter
Ainsi il prospère
La neige sur le visage poussiéreux du désert
Allume une petite heure ou deux puis disparaît

Ceux qui ménageaient
Ceux qui veulent l'or
Ceux qui le jettent au vent comme la pluie
Ceux qui tournent autour de la terre
Ceux qui rêvent en cravate
Ceux qui a peine enterrés creusent à nouveaux
Ceux qui dorment à l'hôtel
Ceux qui viennent de tomber amoureux

On est posé dans ce caravansérail
Où les portes sont ouvertes de nuit comme de jour
Où il y a des parties fastueuses
Où il y a des taudis pour la racaille
Où on passe une heure ou deux et puis on s'en va

A l'entrée entre le Lion et le lézard de bronze
Je suis l'âne sauvage
Au souffle rouge
J'ai enterré ceux que j'ai saigné
Avec une lame de hyacinthe
De belles têtes de
Caravage tranchées
De si beaux visages figés dans un hurlement

Tu m'aimes ? Emplis ma coupe
Celle de l'oubli
Les regrets sont évanouis dans l'or vieilli du temps
Demain sera appuyé
Sur les sept cents huit années révolues.
Il suffit d'attendre.

Sur la place du marché
Au crépuscule
Je regarde le boucher
Abattre son couperet
Sur une carcasse de mouton
Il est très adroit
J'aime beaucoup cet homme
Qui me donne à manger
Et qui sait le prix du sang.
Il me dit :
“Regarde comme cette bête est belle
Il ajoute en riant

“Mange doucement
Le temps glisse sous nos pieds
Cet agneau est notre plaisir
Pourquoi s'inquiéter
Il perpétue le cycle
Nous aussi
Et le temps glisse sous nos pieds
C'est un devoir de prendre plaisir
Le plus difficile de tous les devoirs
Car tu ne le dois qu'à toi même
J'espère que mon agneau va t'aider
Bois et mange avec tes amis à ma santé“

La soirée sera douce
Et j'en remercie l'agneau
Et mon ami le boucher
Demain, lui et moi seront morts
Comme l'agneau


***

Annihilation, déchets
Après la vie
On les abandonne
La source de vie est soudain ordure
Il faudrait
Ordonner autrement le ciel
Ranger différemment les étoiles
Le sommeil à tout gâché
On reprend une aube du rien
Et voici que s'ébroue déjà la caravane
Les cris fusent
Un enfant
Jettera le premier rire
C'est l'heure des mécaniciens
Le royaume des pratiques
Le territoire des vrais hommes
Qui ne posent pas de question
Et qui se lèvent
En sachant ce qu'ils ont à faire
Et qui se hâtent
Car leur journée est en temps vendu
Dont chaque seconde est précieuse
Les plus forts
Sont ceux là qui,
A bord de machines bruyantes,
Et sans nous éveiller pourtant,
Otent de nos trottoirs les déchets du jour d'avant
Pour que notre nouvelle vie
S'écrive sur une belle page propre.


***

Combien de temps
Combien de temps, dans la poursuite infinie ?
Combien de litiges ?
Comment rester joyeux ?
Tout en avalant ces fruits amers ?
Mes amis savent
Depuis combien de temps
Dans ma maison
Nous nous sommes enivrés
Jusqu'au point d'oublier
Toute raison
Ou plutôt
Parce que nous avons essayé
De trouver une quelconque raison
À quoi que ce soit
Détissant
Ce qui avait été parfois patiemment filé

Détruisant l'ouvrage fini
Pour faire place à du neuf
Au désespoir aussi parfois
De ces mêmes amis

Et cette chose affreuse qu'est le divorce
Nous a parfois déchiré
Rendant nos lits stériles
Et puis la semence en fin de compte
Est toujours revenue.
Comme la vigne se taille en mars
Fructifie en octobre
Le vin se boit ensuite
Juste avant l'ivresse qui détruit
Le souvenir du cycle
Que nous ne saurons jamais rompre


***

On peut éclairer
Le monde des choses
Bien qu'il soit éclairé dès son origine
Que partout autour de nous
On allume et éteint sans cesse
Que des faisceaux pinceaux et réverbères
Soient en place avant notre arrivée
On peut éclairer
Le monde des choses
Différemment.
On dit “si“, “n'est-ce pas“, “ainsi“
La ligne ondule vers le haut et le bas
Vague, vague,
Les yeux brûlent
La nuque alourdie
Et le corps en douleurs
Inutiles
Presque indifférentes Qu'importe ?

Tu ne parviens pas
A ne pas vouloir
Savoir
Et je suis comme toi
Sauf l'ivresse
Qui soudain porte la certitude
L'abîme s'ouvre
On est emporté vers le fond
Du gouffre
Qu'importe ?


***
Un Ange
Je l'ai vu
Je n'ose pas en parler
C'était dans la plus sordide
Des tavernes
Je buvais dans la tourmente
Perché sur un tabouret stratégique
L'Ange aussi buvait
Inconfortablement engoncé
Entre des jeunes gens sans signes remarquables
A travers la lumière fumeuse
L'Ange à fait voler un signe vers moi
Et je suis allé vers ce signe Hypnotisé
J'avais un navire sur l'épaule
C'était une femme
Très, très jeune
Et elle savait
Elle voulait que j'ai le goût de l'Ange
Je crois
Mais tout n'était que boue confuse
Vacarme et dérision
Et son sourire d'enfant
Est resté suspendu sur ma main
Et j'ai seulement vu
L'ange
Je n'ose pas en parler


***

L'alchimie subtile
Les deux cent soixante dix secousses
Des éprouvettes, de la cornue et de l'alambic
La logique absolue
Avec la méthodologie
Implacablement respectée
La répétition de l'expérience
Et la certitude acquise
De l'obtention du résultat à chaque fois identique
N'empêche : je doute
Et aucun métal
Si lourd fût-il
Ne transmute jamais
Rien


***

Je regarde autours de moi
Partout
Chacun
Se dit un puissant et victorieux
Affirme son bonheur
Ment effrontément
Et accroche
Comme une lune pâle et tremblante
Un rictus de sourire
Perpétuel
Dédaigne
La horde noire des mécréants
Nie les tristesses qui nous infestent l'âme
Ils me tuent
Avec des épées enchantées
Et ils meurent
Je regarde sans bouger
Et préfère me disputer
Même avec le sage
Ne jamais quitter
La grande querelle de l'univers
Jouer ma vie aux dés
Trouver chaque soir la fatigue
Qui m'apportera l'éveil du rêve
Et vivre ma nuit paisiblement.


***

Alors
Dedans, dehors, dessus, dessous
C'est le ballet magique des ombres
Soleil de l'enfance
Étonnement de la découverte
Tout ce qui est dans la boite Est désirable
Ce qui se mange
Ce qui se boit
Ce qui est doux
Ce qui caresse
Ce qui brûle aussi
Tout ce qui est dans la boite
Est désirable
Comment alors
Accepter de vivre
Sans cette ivresse ?


***

Tu recommence chaque matin
La quête interminable
De cette fantaisie
Quitte à brûler tes ailles d'ange
Tu dis oui à toutes fantaisies
Et les amis t'entourent qui eux non plus
Ne sont rien
Et t'aiment
Et vous vous asseyez en rond par terre
Pour vous quereller sans cesse
L'un apporte des fruits,
L'autre du vin
Les femmes
Qui sont levées parfois plus tôt
Ont eut le loisir de cueillir des fleurs
Pour le décors
Les hommes
Qui aiment se battre pour faire du feu
Ont fait le feu.
Comme c'est le jour
Presque aussitôt
L'ange noir plane au dessus de vous
Le monde se rétrécit
On allume alors en général
La radio.


***

Pour quelle raison
La nervosité s'installe ?
L'échiquier du jour
Avec chéquier et clefs égarées
L'entrecroisement fou et meurtrier
Pourquoi est-il nécessaire ?
Il l'est
Évidemment.
Chacun doit jouer
Sa ligne de la grande partition
Puisque
Paraît-il
La terre tourne
Nous aussi
Le meurtrier fait son meurtre
Comme le boulanger son pain.
On va chercher dans les placards
Ce que d'autres y ont rangé
Penche toi au bord du jour
Que vois-tu ?
Cela fait beaucoup de questions
Et peu de réponses


***

Il y a un bal aujourd'hui
Cette fois l'ivresse sera obligatoire
Tu vois le terrain préparé
Tu as soudain besoin d'isolement
De solitude
Ton corps est douloureux
Sur la grève de la plage
Les enfants jouent déjà
Tu veux les rejoindre
Mais ils n'ont pas besoin de toi
Ils tolèrent
Que tu regardes
Leur excitation grandissante
Ils pensent sans le formuler :
“il nous surveille
Qui est-ce ?“
Tu es assis en bas du talus
Et tout le monde pense :
“Il sait, il sait !“
Il va gâcher le bal.


***

le doigt tape et écrit il galope sur la machine
Il est maladroit
Et parfois imaginatif
Il faut parfois annuler, puis reprendre
Car tes larmes
Ont presque tout effacé
Et il serait commode d'appeler
Le ciel : la nuée
Le vivant : l'âme
Le corps : le cœur, etc.
“Tout“ serait : l'univers
Et l'inverse vide : le néant
Le tourbillon dans la tête
Pourrait être nommé pensée
Quelle merveille la parole
Pourquoi s'arrimer
À ce que les archéologues de la poésie
Ou les théoriciens des béatitudes
Appellent injustement
La rime
La forme
A quoi ça sert ?
A rassurer justement
Alors pourquoi s'en priver ?
Ne t'en prive pas
Seulement si tu en as besoin
Rien n'est interdit
Malheureusement
Tout est code


***

Bouleversés
Nous appelons le Ciel
Et il nous faut ramper
Il nous soulève dans sa poigne de fer
Toi comme moi
Nous dévalons la pente
Nous roulons
Nous sommes roulés
Pétris comme pâte
Aspirés par les gouffres
Dans ses bras puissants
Maternels
Ce Ciel qui va nous sauver
Nous acceptons ses services
Nous subissons ses sévices
Préjugé je suis, tu es, il est, etc.
Galette sous le rouleau des vagues
Miche dorée
Cuits, dévorés
Il nous faut être mangés
Et on sait tous comment cela finit :
Excréments, cadavres, décomposition.
Que faire ?
Toujours ces questions impossibles.
Ce sont les mêmes pour le simple d'esprit.


***
Le seul monde est en nous
Et seuls nous en sommes l'habitant
Même si la lumière était là avant nous
Argile dans l'immensité
Mais pouvons-nous agir ?
Pouvons-nous ne pas agir ?
Clay comme on dit en Grande Bretagne :
glaise, boue, dépouille mortelle, macchabée, corps
Pétris, dernier homme
Qui d'autre ?
La lignée se fera
Avec nous
Non seulement grâce à nos graines
Mais aussi nous serons
Engrais des jardins futurs
Ou pollution, contagion
Massacres
Noble destinée
Buvons.


***
Un matin tu te lèves et tu écris
Il y a bien des façons de le faire
Chaque matin se pose la même question
Comment faire ?
Les questions comme les microbes pullulent
Mettons que tu écrives avec un stylo
Il reste à trouver qui diable vas te lire
Et pourquoi ceci et cela ?
Alors tu prends une longue vue
Ou quelque chose d'approchant
Tu braques ton regard
Sur le poulain flamboyant
Tu jettes ton dernier préjugé par dessus ton épaule
Comme un russe ivre son verre
Et sous tes yeux tu vois se dessiner
Ton âme dans la poussière


***
L'être s'accroche comme la vigne
Le bois se tord
Tu bois encore
Tu es bafoué
Tu joues la musique
Celle qui touche
Il faut ouvrir cette porte
Faire cesser ces hurlements dehors
Vraie lumière gentille pour l'amour
Sinon la colère va te consumer
Tiens ! : la vigne justement
Elle a ses temples
Ses observatoires
Du temps simplement perdu
D'où l'on regarde couler la vie
Et où les questions sont bonnes pour les autres
Où toutes les questions font rire
Où on contemple un simple panorama


***

Toi et lui et moi et les autres
Nous sommes jetés
Envoyés errer sur les routes
Un visage derrière chaque virage
Tu peux consulter la carte
Tenter la prédestination
Bâtir des villes
Posséder des mondes même
Ce n'est que ton monde
Celui que tu as touché à la loterie
Sur la ligne de départ
Tu peux grimper un peu
Pour voir un plus grand paysage
Chuter très profond
Mourir.
Ça changera quoi ?
Ton nom sur une plaque de rue
Après délibération du conseil municipal ?
Te voici en bronze
Comme un serpent
Autours du cou d'une courtisane
Qui a perdu toi et bien d'autres
Et vous voici tous les deux
Enlacés dans le bronze


***

Fais toi potier
Tu fera des pots
Pour mettre de l'eau dedans
Et ce sera ta richesse
Car les pots cassent
Et il faut sans cesse en racheter
Et sans cesse pétrir
Et sans cesse modeler
Et cuire, et vendre
Et battre la terre
Et quelle soit bien meuble
Et facile à travailler
Et tu vivras
Avec les populations d'argile
Dans leurs rangées
Assis près du tour
En regardant les lunes
Passer les unes après les autres
Et tu seras seul comme un Dieu


****
Il est difficile de comprendre
Quel lot nous est échu
Certains disent qu'ils savent
D'autre non, ou bien ils cherchent
Ils demandent :
Qui est le potier qui nous à modelés et cuits ?
Il y a des gros et des petits
Des richement ornementés
Et des tous simples
Et d'autres qui sont cassés avant d'être vendus
Tu ne sauras que dire
Parfois tu réussis
D'autre fois tu échoues
Et il en faut pour tout le monde
Et ton ami le forgeron te dira pareil
Et moi qui t'écris
En ce moment
Pareil


****
Le verre où nous buvons
Aujourd'hui le vin
Dans la joie
Est un navire de lumière
Il peut être brisé, couler
Et nous avec
On peut être tenté de le détruire
Par rage d'impuissance
Ça dépend des jours
On peut le jeter par dessus son épaule
Comme un russe ivre
Parce qu'il entend tout à coup
Parler le silence
Et qu'il a peur
Que le verre, le navire
Les rangées d'argile
Se moquent de lui
Alors il casse tout
Terreur et tremblements

****
Navire après navire
Le ton peu à peu montait
Entre nos chiens de faïence
On s'interpelle : “frères, frères !“
Laissons tomber
Nos fardeaux sont lourds
Nos épaules craquent
Une fois encore
Du vin
Pour redorer
Ce bouge sordide
Et laver nos corps
Des odeurs de mort
Des disputes
Laver le linceul et en faire une nappe
Dans la douceur du jardin
Puis s'y ensevelir ensemble
Brûlés, cendres, oh ! cendres
Pièges de parfum
Qui nous attache encore
Et qu'il faut ignorer

***
Ce que j'ai admiré
Ce que j'ai tant aimé
M'a fait bien du mal
Et jeté le discrédit sur moi
Et m'a noyé dans un verre d'eau

***
Ce que j'ai aimé
M'a noyé
En jurant comme un russe ivre qui jette son verre
Mais le printemps est venu
Et c'est ma peine qui s'est noyée
Déchirée

***
En fait c'est pire que ça
C'est plus pauvre encore
Sous la poussière
Tu grattes
Et il y a la beauté
Et ta récompense
Tu es heureux de te laver les ongles
C'est ta récompense
Tu es heureux.

***
Finalement,
Laisse tomber les pots
Qu'ils cassent.
Tu t'en fiches.
Tu écris juste en grattant la poussière et c'est suffisant ainsi