Madame Rouchet est surnommée Titi, de son vrai nom Titiana, car elle est la fille d’un maçon italien immigré en 1918 avec pour seul bagage une brouette en bois contenant quelques outils.
Son frère, Tino, est actuellement à la tête de la plus grosse entreprise de travaux publics de la région, spécialisée dans les chantiers de stations de sport d'hiver.
Mais Madame Rouchet ne s’est jamais intéressée aux pelleteuses ni aux constructions de stations de sport d’hiver. Elle préfère y faire du ski.
Elle préfère aussi faire teindre sa belle chevelure brune de romaine en blond cendré. Elle a épousé Monsieur Rouchet, "Riri", fils d’un charcutier.
Riri est propriétaire de plusieurs magasins de quincaillerie en ville.
Mais Titi ne s’occupe pas de la comptabilité.
C’est justement pour échapper aux fastidieuses journées d’écriture que son père lui imposait dans l’entreprise familiale en échange de son argent de poche qu’elle s’est résolue à épouser Rouchet.
Ces deux là s’entendent à merveille. Elle ne fait rien d’autre que des courses avec ses copines ; et en contrepartie, lui bosse souvent tard et fait parfois la bringue avec d’autres commerçants avec qui il est en affaire ; jusqu’aux heures avancées de la nuit.
Il leur arrive cependant de sortir un soir ensemble de temps en temps, comme aujourd'hui, pour diner en ville avec Les Joquet.
Les Joquet sont leurs meilleurs amis.
Lui, Albert, est à la tête d’une belle entreprise de plomberie et il achète tous ses tuyaux et ses robinets chez Rouchet.
Ce qui fait qu’ils ne sont jamais en panne de conversation pendant que leurs épouses se racontent leurs dernières vacances.

C’est justement le cas en ce moment même : c’est Madame Joquet (que tout le monde appelle Mimi) qui s’est lancée dans le récit de ses vacances en Corse.

- On était avec les Veyrat. Tu connais Marité? On a fait de la pêche sous marine tous les jours. Normal remarque, on était allés là bas pour ça ! Et je ne t’ai pas raconté ce qui est arrivé à Marité. Cette nouille s’est laissée emporter par les vagues. Il faut toujours qu’elle en fasse plus que les autres. Remarque, je rigole, mais ce n’est pas marrant ce qui lui est arrivé.

- Ah bon, c’est quoi ?

- Et bien, tu sais comme elle est, elle ne veut jamais s’arrêter. Un soir, on avait tous fini de plonger, mais elle à décidé d’y retourner encore une fois. Elle faisait ça presque tous les jours. On dit : bon, OK, tu nous rejoins chez Jean quand tu as fini. Bon, on va chez Jean. Et puis tu sais comment ça se passe : une tournée, deux tournées… Le barman de Jean remet la sienne. Puis Jean arrive et nous parle d’un nouveau resto sur le port. On décide d’y aller.

- je vois.

- Bref on oublie Marité. Après le resto, on retourne chez Jean et on commence à danser. Tout ça fait qu’on rentre au bungalow plutôt chauds et bien crevés. Le lendemain matin je dis à René : dis donc, on a pas vu Marité hier soir! Bon ; lui tu sais comment il est ? Il me dit : elle doit dormir.

- Évidemment.

- Vers dix heures, on commençait à s’inquiéter un peu de rien voir bouger. Alors il y a la camionnette des gendarmes qui ramène Marité. Son mec dormait encore. Tu me dira qu’il devait avoir sacrément picolé pour pas s’être rendu compte que sa femme était pas dans son lit quand il est allé se pieuter !

- A moins qu’il ait l’habitude,

- Arrête, t’est conne.

- Non mais sans blague, qu’est-ce qui lui était arrivé ?

- ah oui c’est vrai, avec tes conneries tu me fait presque perdre le fil. Figure toi que cette conne s’est laissé emporter par les vagues. Je sais pas comment elle s’est démerdé. En tous cas, à un moment elle ne savait plus de quel coté était la côte. Remarque qu’elle a pas paniqué. Tu sais que mine de rien c’est quand même une super nana.
Tu sais ce qui lui est arrivé à ce moment là?
Et bien elle a rencontré un banc de tortues de mer. Il paraît qu’il y en à plein au large de Calvi. Elle est montée sur le dos d’une tortue et elle s’est laissé porter. Elle est resté comme ça toute la nuit. Elle dit que de toute façon, si les gendarmes ne l’avait pas récupérée, elle aurait pu aller jusque sur le continent. Remarque que quand même après une nuit comme ça elle était toute ramollie par la flotte. Mais sinon ça allait.

- T‘es conne, c’est vrai ça ? Comment ça se peut ?

Les hommes ont l’air abattus. Ils ne se mêlent pas de la conversation. Leurs femmes n’y prêtent aucune attention. Ils ne discutent pas boutique non plus.

Ils pensent à leur jogging du matin pendant lequel ils n'ont croisé aucun dinosaure.