- Alors mon lapin, qu’est-ce que tu veux ?

Le petit garçon était entré dans le bar épicerie du village en jetant des regards timides. Les vieux, vissés sur leurs chaises tapaient la belote devant des blancs limés.

Il avait une bulle de morve au nez, un tablier gris tout sale et il serrait une grosse pièce brillante dans ses petites mains crasseuses.

Il s’était arrêté à deux mètres au moins du comptoir où trônaient les bocaux de confiserie pleins de chiures de mouches.

- allez mon lapin, n’aie pas peur, approche. Tu veux acheter des bonbons ?

Le gamin renifla et , sans faire un pas de plus zézaya :

- ze voudrais de la réglisse si t’en a.

- bien sûr que j’en ai. Mais on ne dit pas de la réglisse mon petit bonhomme, on dit du réglisse, répliqua la mère Cageot.

Elle savait à peine écrire, mais elle avait toujours considéré l’orthographe, le vocabulaire et la grammaire comme des choses sacrées.

- tu veux quoi exactement : des cachous, des serpentins, des bâtons ?

- ze veux des cachous si t’en as, répéta le gamin.

- tu veux combien de boîte ?

- ze sait pas dit le môme, z’ai que cinq francs. C’est pour zouer à la marelle.

- alors tu peux avoir une boîte. Mais rappelle-toi : on ne dit pas “la” réglisse, mais “le” réglisse.

- ça a pas le même goût ? dit le gamin en tendant sa pièce d’une main et en attrapant prudemment la boîte jaune de l’autre.

Puis il se sauva en faisant claquer ses godasses sur le plancher crasseux.

En ce temps là, à la campagne, les dictionnaires étaient rares dans les fermes mais les enfants savaient bien des choses tout de même.